Si vous avez déjà brassé une IPA, peut être que vous avez déjà été confronté au problème de l’oxydation. Véritable fléau de ce type de bière. En vous renseignant, vous avez surement lu que l’idéal pour ne pas y être exposé, est de s’équiper de matériel CO2. Il permet effectivement d’éviter tout contact avec l’oxygène durant les transferts. D’un point de vu objectif, c’est vrai que ça reste la meilleure option pour brasser une IPA. Mais l’inconvénient est que, qui dit CO2, dit frigo, keg, bricolage, tuyaux… et bien sur : le prix. Pour autant, si le CO2 est l’idéal, on peut très bien réussir une IPA sans passer par cette case et c’est ce qu’on va explorer dans cet article !
Un petit point sur les IPA
Vous avez surement déjà entendu dire que durant la période coloniale, les anglais rajoutaient du houblon dans les tonneaux contenant la bière afin qu’elle se conserve bien durant les longs trajets de bateaux reliant l’Angleterre à l’Inde. C’est en parti vrai. C’est d’ailleurs de là que vient le nom de ce style India Pale Ale. Le houblon étant antiseptique, il était utilisé pour prévenir la bière d’infection potentielle. Les trajets durant plusieurs mois, la bière était donc naturellement plus longtemps exposée au risque d’infection.
Pour autant, la consommation d’IPA a radicalement changé depuis. Et les IPA elles même aussi d’ailleurs. L’ajout de houblon à froid à cette époque était uniquement pratique, on peut supposer qu’avec les mois de bateau, il n’en restait plus trop le goût lorsque les colons buvaient leur bière. En effet, les propriétés aromatiques du houblon sont volatiles et s’estompent vite. Pourtant aujourd’hui, c’est ce côté frais qu’on cherche en buvant des IPA. Ce ne sont plus des bières faites pour durer dans le temps mais des bières à consommer le plus rapidement possible afin de profiter au maximum de leurs bons arômes houblonnés. Aujourd’hui on a largement pallié aux problèmes d’hygiène ou de transport de l’époque. Si on veut du houblon, ce n’est plus parce qu’il protège notre bière, mais parce que c’est super bon !
Virage vers les New England IPA
Du coup, on rajoute du houblon en masse pour avoir un genre de multifruit alcoolisé. Et c’est comme ça que sont nées les New England IPA. Oui c’est un ENORME raccourci, mais c’est vers ce type d’IPA que va se diriger l’article… Puis je fais ce que je veux, c’est moi qui écris !
Les New England IPA ou NEIPA, sont un concentré bien rond et gourmand de houblon. Qu’il soit fruité ou résineux, on en veut et on en met toujours plus. Et c’est très bien ! Mais le problème, c’est qu’en plus d’avoir des arômes volatils, le houblon est de nature capricieuse. Il est en effet très sensible à l’oxydation. Quand on en met beaucoup, notamment à froid, il va tout de suite capter l’oxygène lors des transferts et oxyder la bière. Elle va devenir terne, marron et le gout de houblon va disparaitre pour ne laisser qu’un gout de vieux carton et d’alcool. C’est pour cette raison que passer sous CO2 pour faire tous les transferts reste la meilleure solution. Mais rassurez vous, on va voir comment pallier à ce problème et sortir quand même une très bonne IPA avec quelques petites astuces.
Réussir votre IPA sans CO2
Avant toute chose, sachez que je ne vais faire qu’effleurer la surface du sujet. Je vais limiter au strict minimum le langage « scientifique » et simplifier l’écriture le plus possible. Si le sujet des IPA très houblonnées vous intéresse et que vous lisez l’anglais, alors je ne peux que vous conseiller l’excellent ouvrage de Scott Janish « The New IPA : A scientific guide to hop aroma and flavor » ou faire un tour sur son site.
Les céréales
J’ai longtemps hésité à commencer par parler des houblons car c’est le cœur des IPA et du problème d’oxydation. Mais sans céréale il n’y a pas de sucre et donc pas de fermentation. En d’autres termes : pas de bière. Donc, commençons par le commencement.
La base, c’est le malt Pils. Je sais que certains aiment bien utiliser le Maris Otter pour son côté céréalier prononcé, et c’est en principe un bon choix. Le problème c’est qu’on ne va pas intégrer autant de houblon que dans une NEIPA classique qui passerait sous CO2. Du coup je pense qu’il est important de partir sur un malt plutôt neutre en terme de goût, et le Pils sera parfait pour laisser toute la place au bon goût de houblon.
Un autre élément essentiel de votre recette, sera de choisir des céréales riches en protéines. L’important à savoir avec cet élément, c’est qu’en augmentant la viscosité de votre moût il retient surtout les composés les plus volatils du houblon dans votre produit fini. Ce qui veux dire, plus de goût de houblon ressenti ! Les flocons d’avoine seront parfaits, voir indispensables car ils contiennent énormément de protéines et de glucides spéciaux comme les béta-glucanes qui vont participer à fixer les aromes du houblon. Le malt de blé et le Carapils seront également envisageables. Les protéines du blé et les dextrines du Carapils participent à la rétention de mousse et à la préservation des arômes houblonnés.
Attention cependant à ne pas surcharger ! L’excès de protéines et de béta-glucanes/dextrines fera ressortir le coté herbeux et astringent du houblon. 10% de flocons d’avoine et 5% de Carapils ou de malt de blé seront suffisant.
Les houblons : le cœur du sujet !
Comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, le houblon est très sensible à l’oxydation, en d’autre terme il ne faut pas y aller comme un bourrin. Même si au fond c’est ce qu’on veut. Une règle simple à respecter est qu’avec les houblons standards, on ne dépasse pas les 5g/l en Dry hop pour ne pas risquer l’oxydation. Une astuce est d’en mettre autant pendant le brassage dès lors que vous terminez votre ébullition et de le laisser infuser une vingtaine de minutes. Pour plus d’arômes, laissez vos houblons libres dans votre fermenteur 3 jours avant l’embouteillage. Vous pourrez le filtrer avec un hop spider si vous en avez un.
Dans une NEIPA classique, en principe, le minimum est de 10g/l de houblon en dry hop. Cependant, 5g/l donnera déjà de bons arômes et vous aurez quand même une super bière.
Mais on peut quand même pousser un peu…
Si vous voulez maximiser vos aromes, alors pensez aux houblons cryo dont j’ai déjà parlé dans cet article ! C’est vrai qu’ils représentent un certain investissement, mais vous avez besoin d’en mettre deux fois moins pour le même résultat aromatique. Petit rappel, pour fabriquer les cryo, on a séparé les glandes de lupuline, contenant tout le gout houblonné, de la matière végétale, principale responsable de l’oxydation car elle prend beaucoup de place. Par définition, 5g/l de houblon Cryo = 10g/l de houblon standard. Ne dépassez jamais ces 5g/l, car même avec le Cryo, l’excès de matière vous exposera au risque d’oxydation, mais vous vous rapprocherez réellement d’un résultat typé NEIPA et vos aromatiques seront juste géniaux. Les houblons Cryo sont vraiment à envisager pour réussir votre IPA sans CO2 !
En terme d’amerrisant, vous n’avez pas besoin d’en mettre trop dans ce genre de bière car c’est l’aromatique qu’on veut avant tout. 25 à 30 IBU pour 60 minutes d’ébullition suffiront. Vous ne rajouterez pas d’autres houblons durant l’ébullition de toute façon. Vous n’avez pas besoin d’en mettre plus car les houblons que vous mettrez hors flamme vont venir rajouter quelques points d’IBU. 5g/l avec un haut pourcentage d’acides alpha, ça compte, même à 90°C ! Mais votre base maltée bien ronde viendra arrondir la sensation en bouche et l’amertume perçue sera minime.
Quels houblons choisir ?
USA ! USA ! Vous pouvez aussi taper dans le Néo Zélandais, ils sont assez proches en arômes. En terme de cryo ma triade préférée est Citra, Simcoe, Amarillo. Ces trois là allient agrumes, fruits tropicaux et fruits à noyaux, ça se marie super bien ! Les houblons Mosaic, Sabro, Talus et Cascade seront également de très bons choix. Single hop ou mélanges de plusieurs houblons, ne vous contentez pas de mes propositions et expérimentez ! Tant que vous restez américains ou néo zélandais vous ne devriez pas avoir de problème. En revanche, même si j’adore les houblons européens, ils sont trop discrets pour ce genre d’IPA, ce serait un peu hors sujet.
Pour le houblon amerisant, même si les cryo ont de très hauts acides alpha, je trouve que c’est un peu du gâchis de sacrifier de tels arômes. Le magnum qui est peu onéreux et qui a un haut taux d’acide alpha fera parfaitement l’affaire.
L’eau de brassage
L’élément principal à prendre en compte sur ce genre d’IPA est le ratio sulfate/chlorure. Le sulfate va jouer sur la sensation de sècheresse et sur l’amertume ressentie. Le chlorure va plutôt jouer sur la sensation de rondeur en bouche. D’après Scott Jansih, trop de sulfate dans les IPA très houblonnées donne des bières très tranchantes, amères et presque astringentes. La perception gustative du houblon est également réduite. Le chlorure lui, en apportant de la rondeur, va adoucir la sensation générale en bouche. Cette douceur permettra de mieux ressentir les arômes des houblons. Un bon ratio sulfate chlorure est de 2/3. 100/150 ppm est un bon dosage. Je vous conseille de ne pas dépasser la barre des 200ppm pour ne pas donner un gout minéral à la bière. Pour connaitre votre profil d’eau, n’hésitez pas à visiter le site moneaudebrassage.fr.
Je vous conseille de faire bouillir votre eau de brassage la veille de votre brassin et de faire votre propre profil d’eau avec du chlorure ou du sulfate de calcium et/ou de magnésium. Je trouve l’outil de littlebock très pratique pour ça.
Les levures pour réussir son IPA sans CO2
Le choix est vaste ! Des tas de levures ont été développées pour ce genre d’IPA. L’idée est de choisir une souche qui laisse un peu de sucrosité dans la bière et qui produit de bons éthers fruités. Etant donné qu’on ne mettra pas autant de houblons que dans une NEIPA standard, ces éthers seront essentiels pour maximiser vos arômes tropicaux ! La levure sera une des clés pour réussir votre IPA sans CO2. Les souches anglaises comme la Safale S-04 font un très beau travail mais une levure comme la New England de Lallemand sera encore plus adaptée. Personnellement, mon choix se porte sur la Verdant de Lallemand développée avec la brasserie spécialisée dans les IPA Verdant Brewing Co. Je trouve qu’elle donne un super équilibre malt/houblon, avec de bons éthers abricot et fruits tropicaux.
Si vous êtes team liquide, la London III de Wyeast est juste parfaite. Si vous avez de quoi faire un starter, alors la WLP067 Coastal Haze Ale de White Labs fera également un très bon job.
Petites astuce pour réussir son IPA sans CO2
Soyez très minutieux lors de vos transferts, surtout lorsque vous allez mettre votre bière en bouteille. Limitez au maximum tous vos mouvements. Pensez à bien les remplir à ras bord pour limiter le contact avec l’oxygène. N’ayez pas peur du fameux gush, ces IPA ne nécessitent pas beaucoup de carbonatation. 4g/l de sucre suffiront largement.
Une autre astuce pour limiter les mouvements est de rajouter le sucre d’embouteillage directement dans votre fermenteur. Et embouteillez directement depuis celui-ci ! Je ne suis pas un fan de cette méthode car le produit finit est moins joli et surtout, c’est difficile d’être précis sur le sucre à ajouter. Mais il faut reconnaitre qu’elle est efficace.
Brasser et Réussir son IPA sans CO2
Ingrédients
Volume : 20L IBU : 55 Efficacité : 70% DI : 1.059 DF estimée : 1009 ABV : 6,4%
Ingrédients :
- 5kg de Malt Pils
- 500g de Malt de blé clair
- 500g de Flocons d’avoine
- 100g de Balle de riz (facultatif, aide à la filtration)
- 15g de houblon Magnum (Ébullition)
- 25g de houblon Simcoe Cryo (Hors Flamme)
- 25g de houblon Citra ou Amarillo Cryo (Hors Flamme)
- 25g de houblon Simcoe Cryo (Dry Hop)
- 25g de houblon Citra ou Amarillo Cryo (Dry Hop)
- 2 paquets de levure Verdant de Lallemand
Pour plus de confort, vous pouvez retrouvez toute la matière première réunie au lien ci-dessous !
Chaque 25g de houblon cryo équivaut à 50g de houblon standard, qui sont évidement substituables ! Le tout équivaut donc à 5g/l de houblon standard hors flamme, et pareil en Dry hop. Bien sur vous pouvez monter à 5g/l de houblon Cryo. Comme je l’ai dit plus haut, avec ce dosage, vous aurez un résultat typé NEIPA sans risque d’oxydation ! Faites vous plaisir et expérimentez !
Recette pas à pas
Faites chauffer 20 litres d’eau à 72 degrés et versez y les grains concassés. Remuez bien pour éviter les grumeaux. Faites descendre la température à 67 degrés et maintenez là pendant une heure. En parallèle, faites chauffer 15 litres d’eau de rinçage à 77 degrés. NB : notez que ce volume d’eau de rinçage peut varier selon votre taux d’ébullition. A vous de l’établir en fonction de vos brassins précédents.
Une fois l’heure de saccharification terminée, passez à la filtration et au rinçage.
Mettez ensuite votre moût à chauffer pour procéder à une ébullition de 60 minutes. Mettez 15g de houblon Magnum à infuser dès le début du chrono. Si vous utilisez un serpentin refroidisseur, n’oubliez pas de le stériliser dans le moût 15 minutes avant la fin de l’ébullition. Lorsque votre chrono a sonné, coupez le feu et mettez vos 25g de Simcoe et vos 25g de Citra pour 20 minutes.
Refroidissez le moût à 19 degrés, transférez en fermenteur sans oublier la levure. Laissez à cette température trois semaines. Pour être sûr d’avoir terminé la fermentation, montez à 21 degrés les 3 ou 4 derniers jours. Ajoutez vos houblons de Dry Hop pendant cette période ! Mettez 4g/l de sucre à l’embouteillage.