L’empatage : comment ça marche ?

Publié le , par Juls
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L’empatage désigne le processus de trempage des grains dans de l’eau chaude. Le but est d’activer les enzymes présentes dans le malt afin de convertir l’amidon en sucre fermentescible pour les levures.

Cet article fait suite à celui que nous avons consacré au malt, nous vous recommandons de l’avoir lu avant de vous attaquer à l’empatage.

Introduction à l’empatage

Dans la bière, la base de la base c’est la levure. C’est elle qui va transformer notre jus de malt (le moût) en cette boisson alcoolisée qu’on aime tant. Mais pour ça, elle a besoin de sucres. En fait, c’est elle qui fait la bière et le brasseur ne fait que préparer son buffet de sucres.

C’est là que l’empatage entre en jeu. En règle générale, on infuse le malt une heure dans une eau dont la température se situe, grosso modo, entre 63°C et 72°C. On va donc aller décortiquer tout ce processus !

Les Enzymes

Si l’empatage était un film, les enzymes auraient le rôle principal. Ce sont elles qui vont transformer l’amidon du malt en sucres. Pour rappel, les enzymes sont des protéines produites par un organisme vivant. Leur but est de créer des réactions chimiques qui vont avoir divers effets sur l’organisme en question.

Pendant le maltage, les enzymes activées vont non seulement rendre l’amidon disponible, mais également préparer le groupe d’enzymes qui serviront au brassage.

Pour les faire travailler, le brasseur dispose d’une large plage de température. C’est ce qu’on appelle les paliers d’empatage.

extraction des sucres à l'empatage
Action de schématique des enzymes au cours de l’empatage

Les paliers d’empatage

La saccharification (55°C-72°C)

La saccharification est le seul palier qui soit obligatoire. Lorsqu’on en utilise pas d’autres, on dit que c’est un empatage mono-pallier. Ici les enzymes vont convertir l’amidon en maltose et en dextrines. Ce sont respectivement, des sucres fermentescibles et non fermentescibles. Ces sucres serviront à la production d’alcool et au corps de la bière. Ce sont ceux dont la levure va se nourrir. Cette conversion se produit entre 55°C et 72°C.

S’il n’y avait que deux enzymes à retenir dans cet article ce seraient celles qui entrent en jeu dans la saccharification.

Les Enzymes Alpha-Amylase et Beta-Amylase

Le rôle de l’enzyme Alpha-Amylase, va être de découper l’amidon en gros blocs de sucres. C’est ce qui va produire les dextrines, sucres complexes que la levure ne va pas manger en totalité. Les dextrines vont notamment participer au corps de la bière en laissant ce qu’on appelle : le sucre résiduel. C’est ce qui produit la sensation de rondeur dans la bière. Mais attention, l’excès de sucre n’est pas adapté à tous les styles. Cette enzyme est particulièrement active entre 68°C et 72°C.

L’enzyme Beta-Amylase, elle, va découper les molécules d’amidon et certaines dextrines, en tout petits morceaux de sucres. C’est elle qui va produire le maltose, constituant principal du moût à fermenter. Le maltose est un sucre simple dont les levures sont très friandes, elles peuvent le manger en totalité. La Beta-Amylase sera particulièrement active dans la plage de température allant de 55°C à 65°C. Plus vous favorisez l’extraction du maltose et moins vous aurez de sucres résiduels. L’inconvénient étant qu’une bière trop « sèche » pourrait être aqueuse et manquer de corps selon son style.

Pour une même recette, favoriser l’extraction du maltose par rapport aux dextrines va également donner un peu plus d’alcool. En effet, plus la levure est capable de manger du sucre et plus elle va produire de l’alcool pendant la fermentation.

L’objectif du brasseur est de trouver le bon équilibre des sucres selon le style de bière qu’il veut faire. En général, un bon point d’équilibre se situe aux alentours de 67°C. C’est la température que je vous recommande pour vos premiers brassins, quel que soit le style. A cette température, les deux enzymes sont actives de façon plus ou moins égale.

Empatage : action enzmatique
Activité des enzymes Alpha et Beta amylase en fonction de la température d’empatage. Brewers Window = la plage de température idéale du brassage

Le pallier Protéique (45°C-55°C)

Pour parler de ce palier, il faut d’abord revenir sur la notion de transformation abordée dans notre article sur le malt. Pour rappel, la transformation correspond au niveau de dégradation du bouclier de protéine entourant l’amidon dans le grain. Pendant le maltage, le rôle des enzymes est d’abaisser ce bouclier. Les malts de brassage d’aujourd’hui, sont totalement transformés. Ce qui veut dire, en gros, que le bouclier est complètement abaissé. Il reste tout de même des protéines dans le malt mais elles n’empêchent plus l’accès à l’amidon. Elles serviront de nutriments aux levures et participeront à la tenue de mousse.

La transformation ne concerne pas les flocons de céréales dont l’utilisation n’est pas rare. Les flocons ne sont pas maltés, ce qui signifie que la matrice protéique protégeant l’amidon est toujours présente. Ils ne sont donc pas transformés.

Dans la bière, les protéines servent notamment au corps et à la tenue de mousse. C’est en partie pour ça que l’on utilise un petit pourcentage (<15%) de flocons dans des recettes d’oatmeal stout ou certaines IPA par exemple. L’inconvénient est qu’un excès de protéines entraine beaucoup de trouble dans la bière et rend le moût visqueux. Ceci à pour effet de rendre très difficile l’étape de filtration.

Le but de ce palier est donc de briser les grosses chaines de protéines présentes dans les céréales non maltées. Il peut s’utiliser pendant 20-30 minutes dans des recettes contenant plus de 25% de flocons. C’est souvent le cas pour les bières blanches belges qui contiennent souvent un pourcentage bien plus élevé de flocons de froment.

Attention quand même

Les malts d’aujourd’hui étant tous totalement transformés, ce palier peut être préjudiciable à votre bière. Les protéines, servent au corps, à la tenue de mousse et produisent des acides aminés qui servent de nutriments aux levures. Avec ce palier, les protéines présentes dans le grain vont aussi se dégrader. Si votre recette ne contient que du malt, vous aurez donc une bière qui manquera de corps et n’aura aucune tenue de mousse. Réservez donc cette étape dans les cas ou vous utilisez plus de 25% de flocons.

Le Mash-Out, ou sortie d’empatage (75°C-77°C)

Ce palier n’est pas obligatoire mais peut être une optimisation utile pour des bières nécessitant du corps. Une fois l’heure de saccharification terminée, le Mash-Out consiste à monter la température d’empatage à 75-77°C pendant une dizaine de minutes. Le but étant d’arrêter l’activité enzymatique du brassage. En fait, les enzymes sont encore actives durant l’étape de filtration/rinçage et peuvent dégrader les sucres complexes en sucres simples vu qu’il n’y a plus d’amidon à convertir. Dans des styles où on veut préserver les sucres non fermentescibles, stopper l’activité des enzymes participe à bloquer le profil de sucre désiré.

L’autre avantage du Mash-Out est qu’il rend le moût moins visqueux et facilite la filtration. Il est donc utile pour les bières fortes en protéines et également celles avec un faible ratio eau/grain, notion qu’on abordera un peu plus bas.

Attention ceci dit à la température, à partir de 78°C, la chaleur va extraire les tanins du grain et rendra votre bière astringente.

Un dernier mot sur les paliers d’empatage

Si vous êtes débutants, je vous conseille surtout de vous limiter à la saccharification. La facilité de faire un multi palier dépend aussi de votre équipement. Si vous êtes en cuve de chauffe directe, ou cuve automatique, il n’y a pas de problèmes. En revanche si vous empâtez par infusion, c’est faisable mais plus compliqué, il faut rajouter de l’eau chaude et intégrer plus de calculs.

Les paliers d'empatage

La taille du concassage

La finesse du concassage va jouer un certain rôle pendant l’empatage. En gros, plus le grain sera finement concassé, plus le travail de conversion des enzymes Alpha et Beta Amylase sera facilité. En revanche la filtration pourra être difficile selon votre équipement. La finesse du concassage pourrait faire passer le malt à travers les mailles de votre filtre et bruler au fond de la cuve si vous êtes en chauffe directe. Pour éviter ce problème, je vous recommande de concasser assez grossièrement. La transformation des malts modernes permet aux enzymes de tout de même bien faire leur travail. Concasser finement est une petite optimisation pour les enzymes, mais l’impact sur l’efficacité d’extraction des sucres est mineur explique John Palmer dans son livre How to Brew.

L’eau de brassage

Si l’eau de brassage mérite un ou deux articles spécifiques, il faut quand même aborder ici certains points qui vont beaucoup jouer sur la qualité de votre empatage.

Le ratio eau/grain

Ce ratio est simplement la quantité d’eau à utiliser en fonction de la quantité de grain de sa recette. Il ne concerne pas le volume d’eau de rinçage que nous n’aborderont pas ici. En règle générale, le ratio standard est de 3 litres d’eau par kilogramme de grain. Il peut varier de 2.1 à 3.8L/kg, mais je vous conseille de rester sur 3L/kg de grain si vous débutez.

Ce ratio, en diluant plus ou moins la maische (mélange grain/eau) va agir sur le type de sucre extrait pendant l’empatage.

Une maische peu épaisse (>3.5l/kg) va diluer la concentration des enzymes. Cela aura pour effet de ralentir la conversion de l’amidon en sucre, mais va favoriser l’extraction de sucres fermentescibles. En effet les enzymes seront moins gênés par une forte concentration de divers sucres complexes à dégrader.

Une maische plus épaisse (<2.5l/kg) aura l’effet inverse. La transformation de l’amidon sera plus rapide mais les enzymes auront plus de travail pour découper les sucres. Ce qui favorisera un restant de sucres résiduels et produira une bière plus ronde. Ce type de ratio favorise également la cassure des protéines, il sera donc utile dans un brassage incluant un palier protéique.

Le pH de l’eau d’empatage

Le pH de l’eau de brassage est un paramètre très important à prendre en compte lors de l’empatage. Il se mesure une fois le grain mis dans l’eau. Au delà de 6 de pH, les tanins des enveloppes du grains seront extraits et apporteront de l’astringence à votre bière. A partir de 4.5, l’activité de l’enzyme Beta-Amylase est grandement diminuée. La conversion des sucres s’en trouvera impacté et forcément, la fermentabilité aussi.

L’enzyme Béta-Amylase est plus active avec un pH d’environ 5.2 et l’Alpha-Amylase préfère des pH se situant autour de 5.7. Le but est de trouver le bon équilibre entre les deux en fonction du style de bière à brasser. Pour débuter, un pH de 5.3 sera idéal.

Le malt est un produit acide, il fait naturellement baisser le pH de l’eau. Ceci dit, ça ne suffit pas toujours. On expliquera pourquoi dans un article spécifiquement dédié au traitement de l’eau de brassage. Vous avez plusieurs possibilités pour contrôler votre pH. Un certain pourcentage de malt acide peut entrer dans la composition de votre recette, mais je trouve personnellement que ce n’est pas la meilleure option. Le mieux est de faire l’acquisition d’un bon pH-mètre et de contrôler votre pH dès le début de votre empatage. Vous pouvez ensuite intégrer à votre brassin de l’acide lactique (ou phosphorique) jusqu’à atteindre le pH désiré.

Empatage, pH d'empatage
pH idéal de l’activité enzymatique en fonction de la température. Mash Target = température cible du brassage.

Le temps d’infusion

Le temps de saccharification varie selon les recettes de 30 à 60 minutes. En fait, l’activité enzymatique est très forte pendant les 20 premières minutes et suffit à dégrader tout l’amidon. Pour autant cela ne veut pas dire que l’empatage est terminé. Le sucre n’est pas encore totalement incorporé dans le liquide. Les enzymes ont besoin de travailler ensemble. Les Alpha-amylases vont couper des gros morceaux, et les beta vont en faire des plus petits. C’est cela qui va déterminer la fermentablité du moût et permettre au brasseur d’atteindre le bon profil de sucre. Voila pourquoi 60 minutes d’empatage est la meilleure option.

C’est optionnel, mais vous pouvez faire un test à la teinture d’iode pour voir si tout l’amidon a été convertit. Pour cela, il suffit de prélever un peu de moût dans un petit bol et verser une ou deux gouttes d’iode. Si ça ne change pas de couleur, tout va bien. Autrement, l’iode réagit à la présence d’amidon et prend une teinte violette. Si ça vous arrive, prolongez la saccharification. En revanche, l’iode est toxique, ne réintégrez pas votre test à votre brassin et, bien sur, ne le gouttez pas !

Avant de conclure

En fait, tous les facteurs vu dans cet article expliquent le process standard de l’empatage. Un ratio eau/grains d’environ 3 l/kg, un pH de 5.3, une température de 67°C et une durée d’infusion d’environ une heure. Ces conditions produisent un résultat sûr et très bon pour débuter. Vous pourrez bidouiller ces paramètres dès que vous aurez un peu plus d’expérience et vous amuser avec.

Conclusion

Je suis resté ici très synthétique. L’empatage faisant intervenir beaucoup d’éléments, il faudrait bien plus qu’un article pour entrer dans les détails. J’ai tenté de simplifier l’essentiel du processus, mais si vous voulez creuser le sujet, alors je ne peux que vous conseiller l’excellent ouvrage de John Palmer : How to brew.

livre de brassage faisant intervenir l'empatage