Kornøl : Kveik et tradition norvégienne

Publié le , par Juls
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kornøl

On arrête pas d’en parler en ce moment, mais on a rentré les levures de Kveik Yeastery. Et si on en fait des tonnes avec ce fabricant, c’est qu’on est super enthousiastes du renouveau qu’il représente en matière de Kveik. Issu des traditions fermières norvégiennes, le patrimoine génétique de ces souches offre une palette aromatique extrêmement riche. Ces nouvelles possibilités de fermentation m’ont donné envie de revenir à la base et d’explorer la culture brassicole scandinave. Aujourd’hui on part dans les glaciers de l’ouest : je vais vous parler de la souche Stalljen et de Kornøl, la bière de ferme norvégienne par excellence.

carte du kornøl
Carte schématique des principales bières fermières norvégiennes

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Sommaire

I. Kornøl et tradition fermière

A. La région du Kornøl

B. Ingrédients

C. Processus de fabrication traditionnel


II. Mon Kornøl

A. Le bon genévrier

B. Le brassage
1. L’infusion
2. Base maltée, empatage et rinçage
3. Pasteurisation et houblonnage
4. Refroidissement et inoculation
5. Fermentation de la Stalljen
6. Mise en bouteille et carbonatation
7. Résultat final

Kornøl et tradition fermière

Historiquement brassé dans les vallées isolées de l’Ouest norvégien, le Kornøl est un « style » de bière crue intégrant des branches de genévrier dans son processus de fabrication.

Le mot style est à prendre avec des pincettes. En effet, cette notion n’existait pas réellement dans la tradition brassicole fermière. Les recettes étaient simplement transmises de génération en génération. Elles étaient dépendantes de ce qui poussait localement et n’évoluaient que très peu dans le temps.

Kornøl, qui signifie littéralement « bière de grain », était juste le terme global employé par les fermiers de l’ouest pour désigner leur production. Etant donné que les bières brassées étaient relativement similaires de ferme en ferme, c’est aujourd’hui devenu un style à part entière.

La région du Kornøl

Avant le XXème siècle, la culture était relativement cloisonnée. L’import de marchandise était couteux et difficile. Les régions brassicoles étaient, de ce fait, bien délimitées et chacune avait ses propres traditions.

Les connaisseurs de kveik ont probablement déjà entendu parler d’Hornindal. Au delà d’être le berceau d’une souche de levure, c’est également de cette vallée que provient le Kornøl. Cette région est en réalité extrêmement isolée. Aucune grande ville n’est à proximité. De plus, elle est entourée de montagnes dont certaines sont recouvertes par le plus gros glacier d’Europe. Cependant, c’est cet isolement qui a fait que les traditions brassicoles fermières ont perdurées.

A une vingtaine de kilomètres au sud de la vallée, se trouve le gigantesque glacier Jostedalsbreen
la région du Kornøl
On peut voir que la vallée est entourée de montagnes, de lacs et de rivières

Ingrédients

Traditionnellement, les fermiers produisaient leur malt d’orge. La méthode la plus courante consistait à le sécher au soleil ou sur le sol dans une pièce chauffée. Certaines fermes utilisaient des fours qui produisaient des malts fumés, mais cette méthode semble avoir disparue. La plupart des malts, et des Kornøl, sont très pales.

L’eau de brassage, était infusée au genévrier. Il était utilisé massivement car il poussait partout dans la région. Sa fonction est essentiellement antiseptique et on s’en servait pour filtrer le moût des drèches.

Les fermiers n’accordaient pas tellement d’importance au houblon. Il servait surtout de renfort antiseptique. Le goût est relativement imperceptible dans le produit fini. L’équilibre vient du genévrier et du caractère crue de la bière.

La Kveik

La souche de Kveik est le marqueur principal du terroir lorsqu’on parle de Kornøl. La plupart des levures de laboratoire sont des cultures pures ne contenant qu’une seule souche. Ce n’est pas le cas des Kveik originelles. Bien qu’elles soient de type saccharomyces, elles contiennent plusieurs souches aux marqueurs aromatiques particuliers. Certaines comprennent même un petit pourcentage de bactéries, complexifiant encore plus le profil.

Les fermiers n’avaient pas de laboratoires ni quoi que ce soit pour capturer et sécher les levures, ils les conservaient donc grâce à un anneau de bois.

Cet anneau, trempé dans le moût pour inoculer la bière, était séché à chaque fois. Il était ensuite transmit de génération en génération. Le profil génétique se complexifiant avec le temps, chaque ferme avait sa propre culture de Kveik. Cependant, les marqueurs aromatiques principaux de la région restaient présents.

Les souches d’Hornindal présentent des aromes d’anis, de clou de girofle et de pomme. Les fermes de la région sont connues pour produire du lait. On pense que c’est pour cette raison que ces kveik présentent également de légères notes de caramel laiteux. J’y reviendrai dessus un peu plus loin, mais la levure multi souche Stalljen de Kveik Yeastery, est récoltée à la ferme de Stig Seljeset située pile au milieu de la vallée.

Processus de fabrication traditionnel

Pour fabriquer le Kornøl traditionnel, les fermiers font chauffer de l’eau à 80°C et y infusent des branches de genévrier. Ce processus permettait, à l’origine, d’avoir une eau de brassage saine.

Le malt concassé est ensuite disposé dans plusieurs récipients et l’infusion de genévrier est versée dans chacun d’eux. D’après mes lectures, cet empatage s’est toujours fait aux alentours de 72°C. Cela semble plutôt haut selon nos standards actuels, mais les bières de ferme de cette région sont très rondes.

A l’époque les récipients n’étaient pas en plastique, mais cette photo représente assez bien l’idée. Je l’ai trouvé dans l’excellent livre de Lars Marius Garshol « Historical Brewing Techniques »

Au bout d’une grosse heure, tout ce petit monde est rassemblé dans la cuve de filtration. C’est traditionnellement une grande marmite munie d’un robinet à sa base. Le fond est tapissé de branches de genévrier faisant office de filtre. Après une recirculation plutôt longue, le moût est lentement transféré en fermenteur et il n’y a pas d’ébullition.

L’intégration du houblon est un élément qui varie beaucoup. Le brasseur peut le mettre dans la cuve de filtration ou le faire bouillir au préalable et ajouter cette infusion au fermenteur… Je l’ai dit plus haut, le houblon n’est pas très important dans ce type de bière.

Une fois le moût à température du corps, il est inoculé à la kveik. Le Kornøl est pret en quelques jours seulement. Il est mit en bouteille (ou en petit cubi) et il n’y a pas d’ajout de sucre pour la carbonatation.

Dans la tradition, il était courant de célébrer la fin de la fermentation en allant emmener un bol de bière à chacun de ses voisins.

Profil aromatique

Le Kornøl  fini a l’aspect classique d’une bière crue. Il est jaune/orangé et opaque. La faible carbonatation ne laisse qu’un très léger filet de mousse. Les arômes portent sur le grain, le genévrier et les esthers de fermentation aux notes fruitées. En bouche, la texture est légèrement granuleuse, c’est typique des bières crues, car beaucoup de protéines sont en suspension. Cette sensation inhabituelle remplace l’amertume pour équilibrer efficacement la rondeur de la bière bien présente.

Mon Kornøl

Les écrits sur les recettes peuvent être difficiles à trouver. Ce n’est pas étonnant car la transmission se fait principalement à l’oral dans la tradition brassicole fermière.

Cependant, quelques infos semblent converger. Les recettes sont généralement constitués de 50% de malt pale et de 50% de malt pils. Le Kornøl est rond et relativement fort en alcool, entre 7 et 8%. Selon les sources, la densité initiale varie entre 1.065 et 1.075. La densité finale se trouve plutôt entre 1.010 et 1.018.

L’amertume, très faible, se situe à moins de 10 IBU. Si les fermiers ne savent pas toujours les variétés de houblons qu’ils utilisent, on peut supposer qu’elles sont européennes.

La difficulté principale est de trouver des informations sur le genévrier. Il existe quelques vidéos de brassage de Kornøl qui m’ont permises de déduire quelques pistes.

Le bon Genévrier

Dénicher le genévrier n’a pas été si difficile car il pousse un peu partout en France. Personnellement je suis tombé sur plusieurs buissons en me baladant dans la garrigue.

Genevrier pour kornøl
Le seul mec qui se promène avec un sécateur dans la garrigue travaille chez Rolling Beers.

Mais attention ! Il existe quelques sortes de genévriers qui peuvent être toxiques si elles sont infusés à plus de 80°C. Cependant, elles sont assez faciles à repérer car elles ont les feuilles en écailles (comme les cyprès) et ne poussent que dans quelques régions du sud de la France.

Ne prenez pas les genévrier qui ont cette forme de feuilles

Par sécurité, Il faut donc sélectionner un genévrier dont les feuilles sont en épines et il en existe de trois sortes :

Genévrier à utiliser pour brasser un kornøl
Etant proche de la méditerranée, j’ai donc utilisé le genévrier cade.

Je me suis posé une question pour bien intégrer le genévrier. Comment le doser pour en tirer la bonne saveur ? Les feuilles et les baies sont très puissantes sur l’aromatique, je ne voulais donc pas que ma bière ressemble à du parfum. De plus, j’avais peur que le bois des branches donne ses tanins à la bière et la rende astringente.

D’après ce que j’ai pu observer, il semble idéal d’utiliser une branche d’environ 20cm par litre de bière voulu. Et pour palier au problème d’astringence éventuel, j’ai décidé de ne prendre que des branches dont l’épaisseur ne dépassait pas celle de mon petit doigt. J’ai passé mes 20 branches au jet d’eau et j’ai commencé mon infusion.

Le brassage

Je ne suis pas équipé et n’ai pas l’espace pour brasser le kornøl à l’ancienne. J’ai donc décidé d’adapter le process sur mon Grainfather.

L’infusion

La veille du brassage, j’ai chauffé mon eau d’empatage à 72°C et j’y ai intégré mon genévrier. J’ai coupé la chauffe et j’ai laissé infuser toute la nuit.

Infusion de genévrier pour kornøl
Je n’ai pas pris le temps d’enlever les baies car les aiguilles, ça pique.

L’eau n’était pas astringente, elle avait un goût végétal et proche de ce que sent le cyprès.

Base maltée, empatage et rinçage

Comme je l’ai dit plus haut, la plupart des recettes sont un 50/50 de malts pils et pale. Mais on est ici sur une bière crue et le Pils a tendance à laisser des DMS. Prudent de nature, j’ai donc pris le parti de faire un kornøl avec 100% de malt Pale ale.

J’ai calibré ma recette pour avoir une densité finale de 1.072, j’ai donc utilisé 7kg de malt que j’ai empâté à 70°C pendant une heure. J’ai ensuite procédé à un mash out de 75°C avant de rincer mes drêches.

Pasteurisation et houblonnage

Une fois mon volume visé atteint, j’ai procédé à la pasteurisation de mon moût. C’est un passage relativement périlleux ! En effet, les DMS se développent à partir de 82°C, il faut donc être super vigilant et bien rester à 80°C, la marge d’erreur est très fine.

Cette étape dure 15 minutes et c’est ici que j’ai mis 5 IBU de houblon Saaz. J’ai également plongé mon serpentin de refroidissement au même moment pour limiter le risque d’infection.

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Refroidissement et inoculation

Même si cette bière nécessite de trouver du genévrier, elle est assez économe en terme de temps et d’énergie. Il n’y a pas d’ébullition et le moût doit simplement passer de 80°C à 35°C. Le refroidissement est largement raccourci.

Juste avant d’ensemencer, j’ai pris ma densité qui était à 1.069. C’est un peu en dessous de ce que je visais mais ce n’est pas la fin du monde.

kveik pour kornøl
Oui, j’ai aussi craqué sur la Eithreim, mais c’est personnel, on parlera surtout de Stalljen ici.

Etant donné que la levure Stalljen vient de la vallée d’Hornindal, c’est naturellement que je l’ai choisie ! Cette multi souche de kveik travaille parfaitement de 8°C à 38°C mais d’après Lars Marius Garshol, la température d’inoculation idéale est à 32°C.

A cette densité, les 5g du sachet auraient dut suffire pour fermenter 20L. Ces levures n’ont pas besoin de trop de population pour bien faire leur job. Cependant j’ai séparé mon brassin en deux seaux de 10L pour tester la levure Eithreim et je ne me suis pas pris la tête à splitter les sachets. Spoiler : ça n’a pas eu de conséquences négatives.

Fermentation de la Stalljen

J’ai donc choisi de mener toute ma fermentation à 32°C. Les glouglou ont commencé dans le barbotteur moins de 3h après l’inoculation.

Environ 5 jours plus tard, j’avais atteint une densité finale de 1.017, ce qui donne un taux d’atténuation d’environ 75%.

Je n’avais pas le temps de mettre en bouteille aussi vite, elle a donc passé 2 semaines en fermenteur. La densité finale n’avait pas bougé.

Info bonus : la Eithreim n’a pas eu exactement le même comportement, elle a plutot atteint sa DF en 7 jours. D’après mes lectures, elle travaille mieux à plus haute température.

Quoi qu’il en soit, je trouve que ces kveik ont un beau degrés d’atténuation dans la mesure ou j’ai empâté à 70°C !

kornøl en fermentation
Apparence du kornøl après 5 jours de fermentation. En terme de DF, c’était déjà prêt.

Mise en bouteille et carbonatation

Carbonatation ?? Oui je sais… normalement les Kornøl ne sont pas carbonatés. Cependant, je me suis dit que s’il fallait le faire gouter, zéro bulles serait un peu écœurant selon nos standards. J’ai donc décidé de chercher « la bulle fantôme » comme dirait Romain du Détour. J’ai intégré un petit 2.5g de sucre par litre. Ce qui donne un taux d’alcool final de 7.1%.

embouteillage de kornøl
Ouh la belle faute à Stalljen 😮

Résultat final

Après une semaine de bouteille, la refermentation était déjà terminée. Les esthers de fermentation frappent dès l’ouverture de la bouteille. La staljen révèle ses arômes d’anis, de pomme et même quelques notes tropicales.

Dans le verre, la bière est jaune/orangée très trouble. La petite carbonatation laisse un léger filet de mousse sur le dessus. Les céréales sont très présentes au nez. J’étais surpris de cette richesse dans la mesure où il n’y a qu’un seul malt dans la recette. Je perçois également des notes proches du gin en arrière plan. Autrement, le genévrier ne prend pas autant de place que je le pensais. C’est franchement plaisant.

En bouche, la texture est très surprenante. C’est très rond sans être trop sucré. Il y a ce côté légèrement granuleux, presque piquant, typique des bières crues qui vient équilibrer cette douceur. Une trop grande carbonatation n’est effectivement pas nécessaire.

La bière trouve également son équilibre avec des petites notes d’alcool proches du gin. Je pense que le genévrier est à l’origine de ces arômes. Cette texture, allié aux esthers de fermentation, donne presque un côté jus de fruit à la bière.

Moi qui ne connaissais que la Kveik Voss, je suis surpris de la puissance aromatique de la Stalljen. Les arômes sont riches et complexes.

Pour info, le Kornøl fermenté à la Eithreim a, en plus, des notes de poires et de fruits murs. C’est très intéressant, mais je trouve que la Stalljen s’intègre mieux à ce style.

Kornøl
Un résultat final surprenant et satisfaisant.

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