Merci 😉
L’eau que j’utilise a-t-elle un bon goût ? C’est la première question à se poser lorsqu’on parle d’eau de brassage. Vous l’avez peut être déjà lu, en général, une bonne eau devrait donner une bonne bière. A condition, bien sûr, que le brasseur dispose d’une bonne recette et utilise les bonnes techniques.
Ce conseil est totalement vrai. Mais si on veut progresser, il ne faut pas se limiter à ça. Une fois qu’on a tous nos process de brassage bien en place, alors il est temps de s’intéresser au profil minéral de l’eau.
Souvent reléguée au second plan, l’eau est pourtant un des 4 éléments essentiels de la bière. Connaitre et savoir modifier votre profil minéral vous permettra de faire passer vos brassins au niveau supérieur. En effet, les différents éléments qui composent l’eau vont avoir une influence majeure sur le goût de la bière, sa texture, l’extraction des sucres et la fermentation. Rassurez vous, même s’il va y avoir de la technique et un tout petit peu de chimie dans cet article, j’irai à l’essentiel et je resterai au plus simple possible.
Le pH de mon eau de brassage
Avant même de parler du profil minéral de l’eau, s’il n’y avait qu’un seul élément à retenir dans cet article, c’est de bien contrôler son pH ! En effet il va avoir un énorme impact sur l’activité enzymatique de l’empatage.
L’impact du pH sur la bière
Brasser avec le bon pH pendant l’empâtage assure une activité enzymatique optimale et permet la saccharification idéale du moût. Un pH correct assure également une bonne floculation des protéines et une meilleure extraction des huiles essentielles du houblon pendant l’ébullition. En bref, une bonne valeur de pH permet d’obtenir une meilleure bière.
La plage de pH idéale
Le pH de l’eau de brassage est un paramètre très important à prendre en compte lors de l’empatage. Il se mesure une fois le grain mis dans l’eau. Au delà de 6 de pH, les tanins des enveloppes du malt seront extraits et apporteront de l’astringence à votre bière. A partir de 4.5, l’activité de l’enzyme Beta-Amylase sera grandement diminuée. La conversion des sucres s’en trouvera impactée et forcément, la fermentabilité aussi.
L’enzyme Béta-Amylase est plus active avec un pH d’environ 5.2 et l’Alpha-Amylase préfère des pH se situant autour de 5.7. Le but est de trouver le bon équilibre entre les deux en fonction du style de bière à brasser.
La plage de pH idéale sera donc de 5.2 à 5.6. Pour débuter, un pH de 5.3 sera idéal.
Attention ceci dit à la température à laquelle vous allez mesurer votre pH. Sur les bande pH ou les pH mètres premiers prix, la température élevée perturbe la lecture. Le pH mesuré sera de 0.3 points inférieur au pH pris à température ambiante. C’est toujours le pH à température ambiante (20/25°C) auquel on fait référence lorsqu’on parle de pH dans la bière. Avec ce genre d’équipement, la plage de pH mesurée idéale sera donc de 4.9 à 5.3.
S’équiper d’un bon pH mètre
L’idéal est de se procurer un pH mètre qui supporte des température allant au delà de 50°C, ainsi, il corrigera de lui même la lecture et vous donnera la bonne valeur. C’est vrai qu’il représente un certain investissement (entre 50 et 150€) mais ça limite grandement la marge d’erreur.
Avant d’aller plus loin
Il faut d’abord savoir que le malt est un produit acide. Plus il est foncé, plus il va acidifier votre eau. Ce qui veut dire, par exemple, que le pH d’empatage baissera plus facilement avec le brassage d’une stout qu’avec le brassage d’une blanche.
Selon la composition de votre eau, il vous faudra ajuster son pH. En effet, plus une eau est « dure » et plus le pH aura du mal a baisser, il faudra donc lui donner un petit coup de pouce, surtout si vous ne prévoyez pas de brasser avec du grain noir. La question de la « dureté » de l’eau sera abordé un peu plus loin.
Correction du pH
Vous avez plusieurs options pour corriger le pH de votre eau d’empatage. On va simplement voir ici les plus simples.
Au passage, je ne parlerai presque que de diminution de pH. En effet, à moins de brasser avec de l’eau ultra pure, il y a de fortes chances pour que vous ne soyez pas confronté à la problématique de le faire grimper. Ou, plus précisément, de limiter drastiquement sa diminution.
Dans un premier temps, il faudra vous procurer de l’acide lactique ou phosphorique. A notre niveau, et pour ne pas trop complexifier cet article, on va considérer que les deux produiront le même effet.
Option N°1
La première option consistera à corriger votre eau par observation directe. Dès le début de l’empatage, vous allez ajouter (avec une pipette) 2 à 3ml d’acide dans votre brassin, bien remuer, prélever un peu de moût et mesurer avec votre pH mètre. Répétez l’opération autant de fois que nécessaire pour arriver au pH voulu. Notez bien la quantité d’acide que vous avez utilisé, vous pourrez la reprendre lorsque vous brasserez à nouveau la même recette. Le mot « même » est en gras car comme on l’a vu, le pH baissera plus ou moins facilement selon le type de grain utilisé.
Option N°2
Utiliser le site moneaudebrassage.fr. Ce site met à disposition le profil minéral de l’eau de la plupart des communes françaises. Une fois que vous avez rentré le nom de votre ville il ne vous restera plus qu’à inscrire votre recette de malt. A partir de là, le site va calculer pour vous la quantité d’acide à utiliser au cours de votre brassin. C’est une option très intéressante si vous n’avez pas de pH mètre ou qu’il n’est pas bien calibré.
Et si j’ai besoin de faire « monter » mon pH ??
Et oui (pour les deux du fond qui habitent en haut du Canigou), on peut avoir une eau super pure de montagne et vouloir faire un bon gros stout. Le problème, c’est que le malt noir risque de trop faire chuter le pH de l’eau. Ajouter de l’acide ne sera donc pas une option. Au lieu de ça, il faudra enrichir votre eau avec du carbonate de calcium ou du bicarbonate de sodium. Référez vous au site moneaudebrassage pour connaitre les quantités à utiliser.
Rassurez vous, il y a tout de même de grande chances pour que la plupart d’entre vous ne soient pas concernés par ce problème.
Optimisation bonus
Acidifiez aussi votre eau de rinçage !
Vous avez déjà acidifié votre eau d’empatage et c’est très bien. En revanche, si vous ne traitez pas votre eau de rinçage, elle risque de ne pas assez abaisser son pH durant cette étape ce qui peut causer une légère astringence à la bière finie. Et ce n’est pas non plus optimal pour l’extraction des derniers sucres (même si la plupart on déjà été extraits). L’astuce consiste donc à acidifier votre eau de rinçage dans la plage 5.8-6.0 de pH.
Les 6 ions du brasseur
Non ce n’est pas le titre d’un obscur film de série Z. En fait, du point de vu du brasseur, il y a principalement 6 ions dans l’eau qui vont avoir un impact majeur sur la bière finie.
- Le calcium (Ca²+)
- Le magnésium (Mg²+)
- Le sodium (Na+)
- Le sulfate (SO42-)
- Le chlorure (Cl-)
- Le carbonate ou bicarbonate (CO32- ou HCO3)
Le point de vue de votre prof de chimie : Les ions sont divisés en deux groupes. Les cations, chargés positivement (+) et les anions, chargés négativement (-). Ainsi, lorsque vous incorporez des sels de brassage, vous ajoutez toujours des cations et des anions. En effet, les sels doivent toujours être chargés de manière neutre. La charge de chaque ion est indiquée en exposant (-) ou (+). Si on prend l’exemple d’un sel couramment utilisé comme le chlorure de calcium (CaCl2), vous ajoutez 2 parties de chlorure pour chaque partie de calcium. Ce sel fera donc principalement grimper votre taux de chlorure et secondairement votre calcium. On y reviendra avec plus de précision un peu plus loin, ne bloquez pas sur ça, c’est une info bonus pour le moment.
L’impact de ces ions dans la bière
Avant de commencer ?
La plupart des rapports sur l’eau sont exprimés en ppm (parties par million), ce qui équivaut à l’unité : mg/l. Par exemple, 30 ppm de sodium = 30 mg/L de sodium. Plus simplement, si vous faites bouillir un litre d’eau, il restera 30mg de sodium sous forme de sel au fond de la casserole. C’est ces ppm ou mg/l qui vont jouer sur la bière.
Je ne parlerai ici que brièvement des sels minéraux à utiliser pour ajuster son profil d’eau car un point précis sur leur utilisation sera fait un plus loin.
Le calcium
Le calcium est probablement le cation qui nous intéresse le plus ici. Il est bénéfique à la plupart des étapes du brassage. Pendant l’empatage, il réagit au phosphate présent dans le malt pour aider à abaisser le pH de l’eau. Il permet aussi une meilleure activité enzymatique de l’alpha-amylase.
Durant l’ébullition, il favorise la précipitation des protéines. Il constitue également un nutriment important pour les levures et permettra notamment une meilleure floculation durant la fermentation.
Enfin, il participera à la stabilité de la bière dans le temps.
En bref, son rôle est primordial, il faudra donc être attentif à sa présence. Pour le brassage, la bonne plage de concentration du calcium est de 30 à 150ppm. A moins de faire une lager tchèque (et d’avoir une eau très très pure) je vous recommande de viser un minimum de 100ppm de calcium dans votre eau de brassage. En revanche il faudra éviter de dépasser les 250ppm, autrement il inhibera le magnésium, ce qui serait préjudiciable pour la fermentation.
Sels de brassage augmentant le taux de calcium :
- Chlorure de calcium
- Sulfate de Calcium (ou Gypse)
- Carbonate de calcium (à éviter si le bicarbonate de votre eau est déjà haut)
Le magnésium
Les effets du magnésium sont, dans une moindre mesure, similaires à ceux du calcium. Il fait surtout office de nutriment essentiel pour les levures. Ceci dit, le malt libère déjà le minimum vital nécessaire à la fermentation. C’est pourquoi une concentration comprise entre 5 et 30ppm sera suffisante dans l’eau de brassage. Être dans le bas de cette fourchette favorise l’amertume de la bière.
Il est recommandé de ne pas dépasser les 50ppm de magnésium dans l’eau de brassage, car un excès va donner de l’astringence à la bière et provoquer un effet laxatif (🦆).
Sels de brassage augmentant le taux de magnésium :
Le sulfate
Le sulfate est, avec le chlorure et le sodium, ce qu’on appelle un « ion de goût ». Sa présence va accentuer l’amertume du houblon et donnera un côté frais, sec et rafraichissant à la bière. En excès (>400ppm), cette amertume se transformera en âpreté et sera préjudiciable. Le taux de sulfate désiré dans l’eau de brassage sera compris entre 10 et 250ppm. Un fort taux de sulfate peut être appréciable dans des IPA ou l’on veut mettre en avant l’amertume des houblons (west coast <3). Il sera également efficace dans le style Saison où l’amertume et la sècheresse qu’il va accentuer vont participer au côté rafraichissant et désaltérant recherché.
Cet ion est toujours à mettre en relation avec le chlorure, qui lui, va apporter de la rondeur. C’est ce qu’on appelle le ratio sulfate/chlorure. Le brasseur jouera avec ce ratio en fonction du profil qu’il veut donner à sa bière (Amer/sec, équilibré, malté/rond).
Sels de brassage augmentant le taux sulfate :
Le chlorure
On l’a vu juste au dessus, le chlorure est un ion qui va jouer sur la saveur et la texture de la bière. En effet, il va accentuer la rondeur apportée par le malt. C’est le meilleur allié des bières onctueuses comme les Oatmeal stout par exemple. Il est aussi très souvent mis en avant dans les NEIPA ou l’on recherche plus une texture ronde et grassouillette que l’amertume du houblon. Attention, il n’est pas à confondre avec le chlore.
Le taux de chlorure désiré dans la bière est de 50 à 300ppm. Ceci dit, vous aurez rarement besoin d’aller au delà de 250ppm.
Sels de brassage augmentant le taux chlorure :
- Chlorure de calcium
- Sel de table (oui, oui)
Les ratio sulfate/chlorure
On l’a vu, avec le sulfate et le chlorure, le brasseur devra faire un numéro d’équilibriste pour accentuer le bon goût et la bonne texture de sa bière.
100ppm de sulfate et 100ppm de chlorure donneront un ratio de 1 (100/100 =1 ou 1:1).
100ppm de sulfate et 200ppm de chlorure donneront un ratio de 0.5 (100/200 = 0.5 on dit aussi ratio de 1:2).
L’inverse donnera un ratio de 2 (ou 2:1) etc… Voici un petit récapitulatif de l’équilibre apporté par le ratio sulfate/chlorure :
- 0-0.4 : « trop » malté/rond (c’est indicatif car c’est très bien pour les NEIPA et les Oatmeal stout par exemple)
- 0.4-0.6 : très malté/rond
- 0.6-0.8 : malté/rond
- 0.8-1.5 : équilibré
- 1.5-2.0 : assez amer/sec
- 2-4 : amer/sec
- 4-8 : très amer
- 9+: trop amer
Le sodium
C’est en général le meilleur ami du chlorure car lui aussi va accentuer la rondeur de la bière. Il est aussi un très bon exhausteur de gout. La quantité désirée dans l’eau de brassage va de 10 à 100ppm selon la rondeur que l’on veut apporter. Il est même possible de monter à 150ppm lorsque l’on veut apporter un côté salin (dans le cas de certains stout par exemple.) En revanche au delà de 200ppm, il ne sera bénéfique que pour le style Gose, autrement, le côté salé sera trop présent. En excès, il pourra également donner un côté acide et métallique indésirable.
Sels de brassage augmentant le taux de sodium :
- Sel de table
- Bicarbonate de sodium (à éviter si le bicarbonate de votre eau est déjà haut)
Le carbonate ou bicarbonate
C’est ce qui va le plus jouer sur comportement du pH lors du brassage. Ils font entrer la notion de dureté de l’eau qu’on abordera plus bas. En gros, plus le carbonate (et bicarbonate) sera haut, et plus le pH aura du mal a diminuer.
En France, beaucoup d’eaux sont très chargées en carbonate. Ce qui signifie que le malt seul, ne suffira probablement pas à acidifier suffisamment l’eau pour atteindre la bonne plage de pH. Il faudra donc l’aider avec un peu d’acide (comme vu plus haut).
En revanche, si le taux de bicarbonate est trop faible, le malt fera trop chuter le pH et la maishe sera trop acide. Mais comme on l’a dit, il y a peu de chances pour que ça vous arrive.
Il n’y a pas de taux de bicarbonate idéal à proprement parler car il dépend du style de bière à brasser (si on ne veut pas apporter de correction à l’eau). Les écrits s’accordent à dire que pour les bières pales un taux de 0 à 50ppm est idéal. 50-150 pour les bières plus foncés et jusqu’à 300 pour les bières noires. Cela reste très relatif, car vous serez probablement emmené à corriger votre eau.
Une ébullition peut faire chuter le taux de bicarbonate (et fera aussi baisser le calcium) mais on parlera de ça plus précisément dans le passage concernant la correction de l’eau.
Sels de brassage augmentant le taux de bicarbonate
- Bicarbonate de soude
- Carbonate de calcium
Un petit gros mot sur le chlore (#%@!!)
Si vous utilisez de l’eau de ville, elle est probablement traitée au chlore. C’est un problème sérieux car il va être converti en chlorophénol. Les chlorophénols donnent une saveur médicamenteuse à la bière, même à des niveaux de présence très bas. Heureusement, ce problème se traite très facilement, même pour les brasseurs débutants.
Le mieux est tirer votre eau de brassage la veille du brassin, le chlore sera totalement évaporé au bout d’une douzaine d’heure à température ambiante. Vous pourrez la stocker dans des seaux de fermentation par exemple. Une autre astuce consiste à se procurer un filtre à charbon.
Les autres ions
D’autres ions comme le fer ou le manganese sont présents dans l’eau et peuvent avoir une influence négative sur la bière. Ceci dit vous ne serez pas confronté à ce problème. La plupart du temps, les quantités présentes dans l’eau sont trop faibles. On ne les abordera pas ici car ce sont des paramètres très avancés et l’article est déjà bien assez long comme ça !
Dureté et alcalinité de l’eau de brassage
La composition de l’eau en minéraux, et plus particulièrement en carbonate, implique deux notions majeures. La dureté et l’alcalinité. Si le pH est l’élément le plus important de cet article, son « comportement » va être dicté par le profil alcalin de l’eau. En gros, plus une eau est alcaline et plus elle aura un pouvoir tampon. Ce qui signifie que le pH aura plus de difficulté à descendre. Ces notions sont un peu compliquées alors je tenterai de résumer au maximum pour simplifier le plus possible.
Dureté totale
La dureté totale est essentiellement la somme des ions calcium et magnésium. Lorsque la dureté totale est indiquée dans un rapport, elle se lit généralement en ppm de CaCO3 (carbonate de calcium). Globalement, une eau douce est généralement considérée comme allant de 0 à 60 ppm de CaCO3, de 61 à 120 ppm comme étant modérément dure, de 121 à 180 ppm comme étant dure et de 181+ ppm comme étant très dure.
La dureté totale de l’eau peut être classée en deux catégories : La dureté temporaire et la dureté permanente.
Dureté totale = dureté temporaire + dureté permanente
Une eau considérée comme dure est riche en ions mais la différence entre la dureté temporaire et la dureté permanente permet de distinguer quels anions sont présents avec le calcium et le magnésium : le carbonate et/ou le sulfate.
Grossièrement, la dureté temporaire mesure la capacité de l’eau à résister à des variations de pH. Comme son nom l’indique, elle est temporaire, ce qui signifie qu’on peut la contourner en faisant bouillir l’eau avant le brassage.
Le point de vue de votre prof de chimie : En fait, le CO2 naturellement présent dans l’eau permet de garder le carbonate de calcium (CaCO3) soluble. L’ébullition fait évacuer le CO2 et provoque ainsi la précipitation du carbonate de calcium sous forme de sel au fond de la cuve. Car sans CO2 il n’est plus soluble. Séparée de ce sel, La concentration de calcium et de carbonate de l’eau sera amoindrie. Ce qui permettra une diminution plus facile du pH. On fera un point sur ce process un peu plus loin.
Une eau présentant une dureté permanente élevée correspond à un niveau élevé de sulfate. Comme son nom l’indique, elle ne peut vraiment pas être traitée sans un système d’osmose inverse (OI) ou en la diluant avec de l’eau distillée. Ceci dit, là, on parle de traitement de l’eau très avancé et vous n’aurez pas à vous prendre la tête dessus avant très longtemps.
Alcalinité
Je traite de cette notion car vous la verrez souvent revenir, mais en réalité c’est la même chose que la dureté temporaire.
Pour les plus tatillons, l’alcalinité fait référence à la quantité d’acide nécessaire pour abaisser le pH à 4,3. Les ions carbonate [CO32-], bicarbonate [HCO3-] et hydroxyde [OH-] sont trois ions typiques de l’eau qui neutralisent un acide. Les chimistes utilisent souvent le terme « tampon » pour parler de ce phénomène. Une eau alcaline en est riche. Comme pour la dureté totale, la plupart des rapports sur l’eau fournissent une valeur d’alcalinité totale en ppm de CaCO3.
Alcalinité résiduelle
L’alcalinité résiduelle est l’interaction entre l’eau de brassage et la combinaison de malts d’une recette. Cette valeur aide à mieux comprendre comment tous les facteurs clés se combinent, ou comment l’ajout de malts plus foncés, d’acide lactique ou de chlorure de calcium, peut affecter le pH ainsi que le produit final. Le pH d’eau affiché dans un rapport n’a donc pas de réelle utilité, ce qu’il faut prendre en compte c’est la réaction du pH de l’eau de brassage (en fonction de sa dureté) avec le grain et les traitements qu’on peut y apporter. Ce qui nous emmène vers le cœur de l’article : comment traiter mon eau de brassage ?
Comment est composée mon eau de brassage ?
Obtenir un rapport d’analyse ?
Vous pouvez vous rapprocher de votre mairie ou la régie des eaux de votre municipalité par exemple… Ceci dit, ce rapport pourra être facile à obtenir par endroits et (beaucoup) plus difficile à d’autres. De plus si ils fourmillent de détails, la composition de l’eau avec les ions vus plus haut n’apparait pas toujours. Il faudra parfois faire une demande spécifique en plus. En général si vous précisez que c’est pour brasser vous n’aurez pas de problèmes.
Mais en toute franchise, ces rapports ne sont pas agréables à lire. Tous n’ont pas les mêmes normes, les mêmes noms ou unités de mesure… L’article étant de loin le plus long de ce blog, je n’aborderai pas tout cela car ce n’est pas très pertinent ici.
En effet, il existe des sites comme Littlebock ou moneaudebrassage.fr, qui mettent régulièrement à jour la composition de l’eau de quasiment toutes les municipalités. C’est ultra pratique et je ne peux que vous conseiller de vous rapprocher de ces sites !
Comment trafiquer/ajuster mon eau de brassage ?
Faisons un point. On sait à présent qu’il va nous falloir un bon taux de calcium dans notre eau. Qu’avoir un bon visuel sur le taux de carbonate va être important pour maitriser notre pH. Et également qu’on va devoir jouer avec le ratio sulfate/chlorure pour influencer le goût et la texture de notre bière. C’est parti !
Faire bouillir l’eau de brassage
Faire bouillir l’eau de brassage la veille du brassin va permettre de faire précipiter les ions carbonates et calcium. En gros, il faudra porter le volume total d’eau de brassage à ébullition. Maintenir 10/15 minutes puis couper le feu. Le but sera ensuite de créer un tourbillon assez conséquent avec le fouquet pour précipiter le carbonate de calcium au fond de la cuve. Enfin il faudra vous débrouiller pour séparer le liquide du solide (si le robinet de votre cuve est plus haut que le fond alors ce sera facile). De plus, tout le chlore contenu dans l’eau sera évaporé.
Pour ce process il faudra tout de même pas mal de calcium à la base, sinon le carbonate ne baissera pas significativement. Mais si vous avez un fort taux de calcium et beaucoup de carbonate alors allez y, les avantages sont nombreux. Certes ça prend du temps et de l’énergie mais vous devrez mettre moins d’acide pour abaisser votre pH (voir pas d’acide du tout selon votre recette). De plus, en faisant chuter le calcium, vous aurez une plus grande marge de manœuvre pour modifier votre ratio sulfate/chlorure avec les sels de brassages qu’on va voir juste au dessous.
Je n’ajouterai pas de calcul ici. Pour savoir ce que va apporter une ébullition aux minéraux de votre eau de brassage, je vous renvois vers le très bon calculteur de Littlebock.
Ajouter des sels de brassage
L’ajout de sels de brassage est une très bonne option. Elle permet d’ajuster les minéraux et de modifier le ratio sulfate/chlorure. Ici il vous faudra bien connaitre la composition de votre eau. Vous allez avoir le choix entre :
- Le chlorure de calcium (++ chlorure/+calcium)
- Le sulfate de calcium(++sulfate/+calcium)
- Le sulfate de magnesium (++sulfate/+magnesium)
- Le chlorure de sodium (sel de table) (++chlorure/+sodium)
- Le Carbonate de calcium (+carbonate/+calcium)
- Le bicarbonate de soude (+carbonate/+sodium)
Les données entre parenthèses ne sont qu’une approximation.
A partir de là, il vous faudra apprendre à jouer à l’apprenti chimiste afin de modifier votre profil minéral en fonction ce ce que vous voulez.
Mise en pratique
Ici, voila mon profil d’eau de base. Sachant que je veux faire un Oatmeal stout très malté, je suis un peu bas en calcium et mon ratio sulfate chlorure n’est pas bon. Le site moneaudebrassage m’indique qu’il me faudrait corriger mon eau de brassage pour arriver au bon ratio.
Oui mais comment arriver aux chiffres donnés dans la correction ? Il suffit de défiler un peu plus bas :
Dans l’hypothèse ou j’utiliserai de tels volumes d’empatage et de rinçage, alors le site m’indique qu’il me faudrait utiliser 3.74g de chlorure de calcium et 1.94g de chlorure de sodium dans l’eau d’empatage. Puis ajouter 1.25g de chlorure de calcium et 0.65g de chlorure de sodium à l’eau de rinçage.
Ce traitement va augmenter mon taux de calcium, mon chlorure, et bonus, le sodium aussi (il sera un super exhausteur de gout). Je serais ainsi bien dans les clous pour optimiser le brassage de mon Oatmeal stout !
Utiliser de l’eau distillée/osmosée ?
Là, on est sur le linux du brassage car vous allez personnaliser votre eau de A à Z. Je ne rentrerai pas trop dans le détail ici car ça peut vite devenir complexe. Et pour débuter je ne recommande pas forcément d’aller dans cette direction car c’est une notion de brasseur très expérimenté. Le but est ici de vous fabriquer votre propre profil d’eau avec une eau dépourvue de tout minéraux. Il faudra donc avoir plein de sels différents à disposition et être surs de ce que vous faites ! A notre niveau, je pense qu’on a largement de quoi nous amuser avec l’eau qu’on a à dispo et de la corriger un peu avec quelques sels.
Bonus : le profil de l’eau à l’origine des grands styles de bières ?
Et bien oui ! Irish Stout, Bitter, Czech pilsner… Tous viennent du profil minéral de l’eau. A l’époque (super précis le mec), les brasseurs n’avaient pas toutes les connaissances et outils de mesures dont nous disposons aujourd’hui. Ils ont du s’adapter. Par exemple voila l’eau de la ville de Pilsen en République Tchèque :
Cette eau est ultra douce, vous pouvez voir que le taux de minéraux est extrêmement bas. Mettre du malt noir la dedans serait une catastrophe si on ne pouvait pas corriger l’eau (ce serait trop acide). Et c’était le cas avant. Les brasseurs se sont adaptés, en utilisant qu’un type de malt très clair, c’est ce qui a donné le style pils.
Inversement, voici l’eau de Dublin :
Ici, on peut constater une eau beaucoup plus dure. Mettre uniquement du malt pale ale ne ferait pas suffisamment baisser le pH de la maische et la bière serait astringente. Les brasseurs ne se le sont pas dit comme ça, mais ils se sont adaptés en ajoutant du malt noir. De plus, le ratio sulfate/chlorure à joué sur la texture favorisant ainsi la sècheresse typique des irish dry stout.
Alors j’ai pris des raccourcis pour cette partie bonus, mais vous avez saisi l’idée, le profil minéral de l’eau est un paramètre très important dans le brassage de bière.
Conclusion
Bon… Vaste sujet qu’est l’eau de brassage. Si vous êtes encore là, bravo, c’est de loin l’article le plus long de ce blog. Et, encore une fois, j’ai tenté de rester le plus simple possible. Je vous ai épargné pas mal de chiffres et de calculs. L’eau de brassage est un paramètre assez complexe mais je trouve que c’est super passionnant d’aller bidouiller tous ces petits paramètres, qui ont le potentiel de faire d’une bonne bière, une excellente bière !
Si vous souhaitez en apprendre davantage et que vous lisez l’anglais alors rapprochez vous de bouquins comme How to brew de John Palmer ou Water de Palmer et Kaminski.
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